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24 décembre 2022

🍁 Odyle Collin, poèmes, de gares …et autres

Image/poème pour l'ouvrage Aiguillages de la Cause des Causeuses (paru en 2015) 

Ayant grandi en Côte d'Or, dans les citées SNCF des Laumes et d'ailleurs, Odyle Collin a toujours gardé une tendresse particulière pour les atmosphères de gares et de rail… Quelques poèmes en témoignent ici. Mais ça n'est pas le thème unique de cette page, car d'autres nous parlent aussi de ciel, d'eau, de cabane, d'enfance, de nature, de délire, et d'amour…
[On a choisi ici de centrer ces textes, on a l'impression que ça leur donne plus de respiration, plus de liberté… (?)] 
Voir aussi : Poèmes de douleur


La nuit, dans les miroirs,  
Les miroirs du buffet d’la gare 
Des mots silence s’allument

On cherche des regards 
Qu’on n’a pas pu saisir 
Et des amours fanées 
Qui semblent refleurir. 

Entre deux ronds d’fumée 
On se laisse griser 
On réchauffe sa misère 
Dans un corsage entrouvert.

La nuit, dans les miroirs 
Les miroirs du buffet d’la gare
Des mots silence s’allument

On glisse dans des valises 
Des mouchoirs oubliés 
Les mouchoirs du p’tit jour 
Qu’on agite au grand jour.

On refait le monde à sa façon 
On s’invente des lieux d’origine 
Qui se glissent à nos épaules 
Et nous serrent à la gorge. 

On boit de la bière 
Et on invente des chansons 
Que personne n’entendra 

La nuit, dans les miroirs 
Les miroirs du buffet d’la gare
Des mots silence s’allument 



Eau
Eau des jets d'eau 
Eau des puits très anciens et des pluies torrentielles 
Eau des écluses 
Eau des naufrages 
Eau à la bouche 
Eau des yeux grand ouverts 
Eau souffle de vie, propre, pure, froide, chaude
Eau dormante réveillée en sursaut 
Eau des carafes sur les guéridons 
Eau des abreuvoirs et des fontaines 
tu chuchotes à mon oreille 
et j'imagine tes yeux mouillés de larme dans le silence 
Je saute de joie dans la pluie sous ton regard étonné 
Viens me voir toi qui es dans la peine, je te transformerai en cascades de rire.
J'imagine que tu m'aimes 
J'imagine que tu ne pleures jamais 
La petite fille au bord de l'eau fait des bulles de savon 
Je ne suis sûre de rien 
Je suis bien les mains dans l'eau 
Je suis bien les mains dans la boue 
Je me repose au murmure de l'eau 
dans ta musique bleue des mers et des océans 
Le soleil se couche dans les ruisseaux 
et raconte aux enfants des histoires 
Ventre de ma mère 
Les jambes croisées, j'écoute la pluie 
et mon rêve est doux 
doux comme un baiser.
Tiens, il mouille 
c'est la fête à la grenouille.



Le ciel est bleu 
Plus bleu 
Que le bleu des baisers 
C'est une main d'enfant 
Qui l'a dû colorier 



Demain, il sera trop tard 
Notre vie c'est maintenant 
Alors embrasse-moi. 
Laisse-moi rêver quelques minutes 
Près de toi 
Dans la pénombre du crépuscule, 
Demain il sera trop tard 
Notre vie c'est maintenant 
Alors approche-toi 
La nuit est belle 
Et le vent dans mes cheveux 
T'invite au plaisir 
Demain il sera trop tard 
Notre vie, c'est maintenant
Alors embrasse-moi.
OC 



VIVRE 

Je fiance mes murailles 
Aux murs de ta maison 
Et mes escaliers 
au souterrain 
De nos amours discrètes. 
Genoux levés jusque dans la parole 
Mains ravies à l'écume des astres…
Vivons 
Lumière bleue 
de nos cils assoifés. 

Ton sang coule de la vallée
Vivons.  



LA COUR DES MIRACLES 

Il y a des épidémies de cendre 
et des femmes longues 
comme des armes blanches, 
Des prêtres amputés 
qui sentent le vin chaud 
Des entrailles séduisantes 
où le manège d'un rire 
renverse des oiseaux 
possédés d'oracles impossibles. 

Dans un théâtre vide 
des mendiants assoiffés 
ont allumé un feu. 
Au dehors, l'étang gèle 
Des menuisiers aveugles 
fleurissent des cercueils. 
Des femmes agenouillées 
accouchent d'idiots 
marchant sur la pointe des lèvres. 

C'est l'heure 
de crever des bulles de savon 
Mon jour rejoint ton jour 
en son parcours de fleuve 
Et le vin fou de ma fièvre 
a le goût de ta peau.

[Odyle Collin 1975]    



Cabane

Dedans, 
Presque dehors, 
Quelques mots échappés d’une intime confidence. 
Il fallait passer près de l’abri des chevaux 
Se faufiler sous les barbelés 
Distendus par le poids de l’âne 
Apprivoiser les orties 
Et de l’autre côté 
Entre la ferme et le canal 
il y avait ma cabane 
Cabane de jeux 
Cabane de peu 
Une niche de noisetiers 
Un fouillis de branches 
D’où je pouvais écouter 
les conversations étranges des éclusiers 

Dedans 
Presque dehors 
Cabane de jeux 
Cabane de peu 
Elle devenait tour à tour 
Palais d’Orient 
Repaire de brigands 
Et de monstres désarticulés 
Épicerie bien achalandée
Des gouters de ma mère 
Et de caramels gagnants 
chapardés au comptoir 

Dedans 
Presque dehors 
Il y avait quelque part, là-bas 
Un été de cassis 
Et de trèfles à quatre feuilles 
Un été de collines arrondies 
De terre argileuse et de lichen vieilli 
qui colle à la peau 
Un été de rivières 
Aux senteurs d’anis 
Cabane de jeux 
Cabane de peu 
Embarcadère pour des horizons
Qui ne se touchent pas 

Dedans 
Presque dehors. 

[Odyle Collin]  




Parfois, au fond de la nuit, il arrive que le vent comme un enfant s'éveille, et il descend tout seul l'allée à pas légers jusqu'au village, faisant tourbillonner les feuilles et les moineaux.
Parfois, au fond de la nuit un enfant étrenne un ballon neuf et le fait monter vers la Lune. La Lune tombe et le ballon s'allume.
Parfois, au fond de la nuit, on boit de la bière et on invente des chansons que personne n'entendra.
Parfois, au fond de la nuit, au revers des ombres, l'or des chemins blanchit, la tiédeur embaume les cailloux délivrés du soleil.
La nuit vient toujours à pas de loup, à pas de fougère et de menthe et tisse des parfums qui suffisent aux voeux des fleurs.
Parfois, au fond de la nuit, un enfant caresse ses rêves et se désaltère au jus d'étranges fruits.
Parfois, au fond de la nuit, les filets du pêcheur s'en vont vers des rives profondes cueillir la sardine et la nacre des fées.
Parfois, au fond de la nuit, le silence est déchiré par des chiens qui hurlent à  l'amour et les chats aux yeux d'azur viennent boire l’eau des anémones.
Parfois, au fond de la nuit, une main noueuse guide une autre main, les chênes se taisent et les étoiles réchauffent des alcôves comme une boule de pain toute chaude.

[Odyle Collin] 



Entre ce que je pense
ce que je veux dire 
ce que je crois dire
ce que je dis 
ce que vous voulez entendre 
ce que vous entendez
ce que vous croyez comprendre  
ce que vous voulez comprendre 
et ce que vous comprenez 
il y a au moins 9 possibilités 
de ne pas s'entendre. 



Il fait un peu frais ce matin
sous les noisetiers 
Des restants de lune 
s’égouttent le long des feuilles. 
Les gitans de passage 
En feront des bagues et des colliers 
Que je mettrai un soir 
Pour m’éloigner lentement sous la pluie 
A l’endroit des couleurs 
Et des herbes semées. 
Je prendrai le chemin 
Qui mène à la déraison.
J’avancerai plus loin que les gares 
Aux abords des cimetières 
Et des champs labourés. 
J’imaginerai alors la mer 
Couverte d’aube 
Et la vague nouvelle 
Comme une femme qui revient.
Je serai vêtue de parfums dérisoires 
Et il n’y aura plus rien que le bruit des saisons. 
Apprivoise-moi 
Pour que la vie soit encore 
Une promenade fréquentable. 
Il fait un peu frais ce matin 
Sous les noisetiers.
J’aime à être là, 
A mâchonner le silence 
Comme des feuilles de thé vert 



La fille du rail 

Entre deux enjambées de traverse
et d'égratignures de silex,
calmement démolie
elle a les yeux figés de l'attente.
Entre deux éclaircies d'équinoxe,
fardée de noirceur transparente,
elle a chuchoté
avec une lenteur séculaire
des dentelles de prières
et composté
le trop tard
le trop loin
le trop plein

De dos, on ne voit pas qu'elle pleure
La fille du rail

Omnibus d'écoliers
à la courbe fragile
rescapés d'un sommeil alourdi
et d'amours fripées restées à quai …
Fermeture inéluctable du trafic.
La vitre des regrets
s'est brutalement ébréchée.
On voudrait se pencher un peu ,
encore un peu,
mais la vitesse décoiffe l'arrière-cour 
de sa mémoire
qui rouille comme un cri délaissé
dans la salle des pas perdus.
Verrey-sous-Salmaise
Cinq minutes d'arrêt
veuillez emprunter le passage souterrain s'il vous plaît .
La voix est maintenant mutilée
oubliée
derrière les guichets,
balayée par les grands peupliers du canal.
La douleur est floue .

De dos, on ne voit pas qu'elle pleure
La fille du rail .

Le paradis,
elle l'a dessiné à la craie sur le quai n° 1
à contre jour,
à contre rail, 
Marelle.
Accoudée aux familiers visages
Son rêve est doux, 
si doux, qu'il fait bouger ses lèvres, 
et les vents malins font grincer les trains du jeudi
désormais au rebut,
tagués, érodés,
repères de jeux et de succulents bavardages

De dos, on ne voit pas qu'elle pleure
la fille du rail .

Par delà les fenêtres murées
de la petite gare de Verrey-sous-Salmaise,
sur la ligne impériale,
quelques géraniums
en révérence inclinée
témoins d'une enfance expulsée
et de rires engloutis.
Changement d'aiguillage !
Le dernier regard sera murmuré, léger, en pluie
Du haut de la nacelle de vigie.

De dos,  on ne voit pas qu'elle pleure
La fille du rail.

[Odyle Collin] 


D'autres pages web consacrées à Odyle Collin…



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