La vie d'Odyle Collin (1950//2022) a été placée sous le double signe de la poésie et du théâtre… Les deux "en amateur" certes, mais toujours avec passion et sincérité… Elle a 'toujours' écrit des poèmes, depuis son adolescence en tout cas… Mais la dernière décennie de sa vie a été marquée par la maladie… Elle a d'abord perdu sa voix (et a donc dû arrêter le théâtre) et on a cru qu'elle souffrait de la Maladie de Parkinson… En fait, il s'est avéré plus tard qu'il s'agissait d'une maladie voisine et rare, un syndrome parkinsonien nommé AMS. Maladie insidieuse, avec de la lenteur, des paralysies progressives (parole, déglutition, équilibre, marche…), mais pas d'atteinte cognitive (chez elle en tout cas…). Pendant cette période très difficile, elle a écrit quelques poèmes directement liés à la douleur de la maladie (une douleur pour elle souvent plus psychique que physique), et on essaie d'en regrouper quelques uns sur cette page… L'illustration ci-dessous provient de l'affiche d'un spectacle qu'elle avait mis en scène en 2016 avec un groupe théâtre lyonnais "soignés + soignants" qu'elle avait monté à la Croix-Rousse sous l'égide de l'association France-Parkinson.
(NB: On va essayer de regrouper quelques autres poèmes, moins douloureux, sur une autre page !).
C’EST DU DÉSORDRE LA DOULEUR …
Il est des nuits qui n'en finissent pas de veiller une parole défunte
Il est des nuits où j'entends le bruissement de ses pas qui tournent avant le jour,
douleur
Il faut maintenant porter son fardeau de brouillard par n'importe quel temps
Par n'importe quelle saison
C'est du désordre la douleur
Elle nous ronge à l'endroit
À l'envers
Dedans,
Presque dehors
Douleur
Le jour arrive et je la sens déjà qui passe à travers moi
C'est du désordre la douleur…
Ça vous colle, ça vous déchire, ça vous ronge
De la première lune à la dernière neige
Se baisser, se relever, se relever, se baisser
De dos, on ne voit pas qu'elle pleure, la glaneuse des châtaigniers
Elle a le corps meurtri par les vents de novembre
Et ces monstres qui lui dévorent les neurones…
Sa voix est restée en coulisses,
Figée
Nouée
Ce vent là, il ébouriffe les mots et les genets
Et donne la chair de poule aux renards
C'est du désordre la douleur
Elle parle comme elle écrit, en hachures parallèles qui se rencontrent hors de la page
et reprend espoir lorsqu'un ange s'échappe et lui rattrape les mailles
C'est du désordre la douleur
Les regards ont modifié leur trajectoire
le silence devient pesant………..
Il faut, je dois, marche, plus grands les pas ….articule, redresse-toi
et danse
car demain,
le soleil se lèvera de bonne heure
comme un marchand de nougat un jour de fête !
C'est du désordre la douleur
Un simple regard, c'est douleur,
Celui que l'on porte sur ces gens qui marchent trop doucement, et qui abandonnent derrière eux des morceaux de phrase, des mots qui se perdent au fur et à mesure de leur histoire et qui laissent des traces ou bien une seule celle de leur propre chemin.
[Odyle Collin 2016]
LA VOIX PERDUE
Le vent se tait lorsque je parle et parle quand je me tais
je crie pour effrayer ma voix
j'abandonne derrière moi des morceaux de phrases
les mots se perdent au fur et à mesure
c'est comme si des paroles flottaient encore dans l'air
se mêlant à d'autres voix pour raconter une histoire
Lorsque je parle, je donne parfois l'impression que je suis indifférente à ce que je dis,
on ne m'entend pas !
on me fait souvent répéter !
par moments je parle comme si j'étais enrouée…..
j'appelle moins souvent au téléphone
je prends moins souvent la parole
j'ai du mal à finir mes phrases comme si le souffle me manquait,
par moments j'ai trop de salive ou alors j'ai la bouche trop sèche
la parole se fait plus sourde et monotone avec tendance à accélérer le débit
Je repousse d'une voix attentive
les éclats d'une autre voix.
Tout est à reprendre,
chaque mot est une bataille,
il faut maintenant disperser les vents qui aboient dans ma gorge
et ce n'est pas une question de saison.
[Odyle Collin 2016]
J'AI TROP MARCHÉ SUR LES TROTTOIRS
Les jours passent, lamentables, perdus
Tout s'écroule
Il fait froid,
Il fait un froid de mort
Et mon lit est défait pour un nouveau cauchemar
J'AI TROP MARCHÉ
SUR LES TROTTOIRS
J'ai les yeux plein d'ombre, le sourire usé et l'envie de t'écrire est si forte que mon crayon pourrait courir sur la page comme un voleur de récits.
J'ai peur
Peur de la folie
De cette peur qui souffle comme un incendie dans cette chambre verrouillée
Où je roule
où je croupis
Repliée sur moi-même
Sourde, muette, aveugle à tout ce qui n'est pas moi.
Cette peur souffle en moi piquante, glaciale comme un vent du nord
Le goût de cette peur je l'ai au bout des lèvres
DIS-LEUR TOI QUE JE NE SUIS PAS FOLLE
La nuit se termine
La nuit des vivants, ceux qui ronflent
J'AI TROP MARCHÉ SUR LES TROTTOIRS
Ma chambre est vide. Le jour les barreaux y découpent le ciel en petits carrés, et la nuit, comme ils sont éclairés par les lumières du clocher, leur ombre dessine au plafond des trapèzes jaunâtres encadrés de noir, une véritable oeuvre d'art. Que j'ai dans l'oeil pour l'éternité.
Les jambes repliées sur ma poitrine, j'écoute l'hiver, j'essuie la sueur de mon front avec le coin de ma chemise ouverte, je sens passer entre les mots que je n'écris pas des bouffées d'air acidulées, hachurées cabossées, chiffonnées, et l'angoisse me gifle comme une pluie de banlieue
Tu me manques tellement, je voudrais crier très fort pour que tu m'entendes, hurler comme la sirène des bateaux qui rentrent au port Hurler à la haine
SORTEZ LES CHIENS !!!
J'AI TROP MARCHÉ SUR LES TROTTOIRS
CHAUSSURES D'OCCASION
AVEC DES SOUS D'OCCASION
POUR DES AMOURS D'OCCASION
Tu sais je suis devenue laide, les neuroleptiques ont arrondi mon corps, mes yeux se sont éteints comme d'anciens volcans et des rides maquillent mon visage. Je pense à vous, arlequins guenilleux, à lécher l'alcool sur le tranchant d'un godet de fortune, j'entends encore la chute sèche de la goutte dans la cuvette émaillée……..
Et l'odeur des pâtes refroidies et de la fumée écrasée !!!!!
On était tous fils de pirates !
J'entends des bruits de clefs dans le couloir !!!!!
Je t'embrasse tout doucement
Et méfie toi de la nuit
elle a un faux air de contre-jour
Les portes s'ouvrent et se referment une à une
THÉ CAFÉ CHOCOLAT
Les cris s'harmonisent et les reflets de l'hiver éclaboussent des rêves bégayants à faire tomber dans le vide tous les beaux contes de fée
Je m'habitue à l'hallucination simple
J'ai trop marché sur les trottoirs
et quand l'aube devient plus chaude j'ai froid
Dis-leur que je ne suis pas folle
MAIS PEUT-ON PEINDRE LA FOLIE EN SON ENTIER ??
TRAVERSER LE PONT
LUNDI…
TRAVERSER LE PONT
CHERCHER
REGARDER EN ARRIÈRE
RETRAVERSER LE PONT
FAIRE UNE LESSIVE
PLONGER DANS L'INCERTITUDE
MARDI…
TES YEUX N'ONT RIEN DIT
IL FAUT TRAVERSER LE PONT
QUELLE EST LA COULEUR DE L'EAU ?
OÙ SE NICHE LA VÉRITÉ ?
RETRAVERSER LE PONT
MERCREDI…
LA DOULEUR EST INSUPPORTABLE
IL FAUT TRAVERSER LE PONT
LES MASQUES SE FONDENT
EN LARMES
IL FAUT RETRAVERSER LE PONT
JEUDI…
ACCROCHER LE CADENAS DES AMOURS
CIRER LES CHAUSSURES
DIRE MERCI
A QUI… A QUOI ?
LA VÉRITÉ QUI ME LA DIRA ?
VENDREDI…
MARCHÉ
TRAVERSER LE PONT
CHAGRIN
CLANDESTIN
ELLE A OSÉ
ELLE N'AURAIT PAS DU
FAUT-IL TRAVERSER LE PONT ?
SAMEDI…
ACHETER DES FLEURS
DU VIN
TRAVERSER LE PONT
ÉCRIRE EN BLEU
LA VERITÉ
SE LAVER LES DENTS
DIMANCHE…
JE SAUTE
[ODYLE COLLIN 2019]
D'autres pages web consacrées à Odyle Collin…
- Hommages après sa disparition… [Page invisible par la recherche Google : pourquoi…??]
- Page poésie sur le vieux site Guignolsland (= pas sur le blog) amorcée il y a bien longtemps (2004)
- Une page de blog sur sa peinture (également sur cette dernière décennie : 2013…)
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